Loin de se restreindre à des serres climatisées et/ou se percher sur des toits, en s’éloignant de toute interaction sociale, l’agriculture urbaine se diffuse dans les recoins des villes, dans ses interstices, ou même dans les rues. Créer des interactions, valoriser les communs, aller au contact des habitants, ou créer des liens entre l’ensemble des zones de production ou de distribution alimentaire, à une échelle locale, c’est l’ambition des quartiers comestible. Déclinaison locale de la notion de Ville Comestible, il s’agit d’une expérimentation qui s’est focalisée sur le quartier La Chapelle (Paris 18), sous l’impulsion de Vergers Urbains depuis 2012.

Ce quartier a vu apparaitre certains des premiers projets d’agriculture urbaine parisiens, sous la forme de jardins partagés, ou d’espaces autogérés (Shakirail, Bois Dormoy, Ecobox…), pour certains disparus ou déplacés (Arrière cours 93,  Théâtre de Verre ou Jardin d’Alice…). C’est aussi dans ce quartier qu’est né Vergers Urbains (VU). L’association a privilégié un investissement local avant de s’investir dans d’autres quartiers, ou d’autres villes. C’est dans ce quartier très populaire et enclavé, souffrant d’un manque d’espaces verts, avec d’importants conflits d’usage  (dû à un déficit et un dysfonctionnement des espaces publics) que différents modes d’action ont  été mis en place et testés avec d’autres associations du quartier, des collectifs, des habitants et l’appui de la ville. Read More

13400842735_aca507c824_zLa répartition des ressources alimentaires et leur production fait partie des principaux enjeux  pour l’homme, qui l’ont amené à s’organiser pour gérer en communauté et de manière équitable les ressources locales, et ce depuis l’époque où il était chasseur-cueilleur. Le développement de l’agriculture l’a amené à se sédentariser et à fonder des villages, puis des villes et donc à modifier son rapport aux espaces de production. De nombreux espaces ont fini par sortir du « champ » des communs pour entrer dans une sphère privée, gérée d’une manière plus exclusive et au bénéfice d’un nombre limité de personnes.  Cependant, jusqu’à une époque récente, l’espace, même propriétaire restait accessible à tous, pour un usage commun. Ce qui était très pratiqué au moyen âge (avec les Common lands), a pris fin avec le développement de l’industrialisation et du capitalisme, par le mouvement des enclosures qui s’est concrétisé par la privatisation des terres.

On observe aujourd’hui un double mouvement contradictoire : d’un côté l’extension de la sphère privée, avec ce qu’on pourrait appeler les nouvelles enclosures et de l’autre ce que certains appellent une renaissance ou un retour des communs. L’extension de la sphère privée se concrétise à de multiples échelles, qui vont de territoires entiers à des morceaux d’espaces publics, en ville. Read More

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Alors que Paris cherche à se réinventer, ou à se faire grand,  on semble parfois oublier cette crise, ou plutôt cette urgence qui enfle depuis presque de deux années et à laquelle aucune réponse satisfaisante n’est donnée. L’ampleur de cette crise est pourtant sans commune mesure avec ce à quoi font fasse les villes allemandes, qui pour accueillir des centaines de milliers de réfugiés arrivent à profit à la fois les logements vacants, les bâtiments administratifs ou équipements publics désaffectés (hôpitaux, casernes, gymnases, etc.) mais aussi des hôtels, entrepôts, des solutions légères et mobiles (conteneurs) etc.  Certes avec des conditions sanitaires pas toujours adaptées, mais qui permettent de faire transition dans l’attente de solutions plus stables et éviter ainsi le phénomène que connait Paris, où les campements s’installent au cœur de l’espace public (le quartier La Chapelle souvent), dans des conditions inacceptables. Ces campements ont pour effet d’entraîner une intolérance voir même  un rejet violent de la part des riverains, (qui risque de générer d’ailleurs des effets politiques désastreux) puis d’innombrables expulsions dans des sites dispersés dans les confins de la région, et en dehors. Les sites d’hébergement proposés sont souvent incompatibles avec leur situation et les laisse sans l’accompagnement des collectifs de soutien. Ce qui les amènera inévitablement à revenir  vers leur cœur de réseau, là où ils peuvent trouver un soutien tant de leur communauté que des acteurs sociaux ou collectifs. Les réponses politiques qui s’en suivent sont souvent sécuritaires, ségrégatives ou gentrifiantes : par exemple barrièrages et fermeture de l’esplanade du jardin d’Eole, des squares de la place de la Chapelle, du boulevard de la Chapelle, ou implantation d’un « Chapelle Plage » sur l’esplanade Nathalie Sarraute, pour « éviter qu’ils n’y reviennent ». Paris serait-elle devenue inhospitalière? Read More

 Publié par Lumières de la ville

 « Nos métropoles occidentales débordent de corps en trop, de rebuts humains épars ; expulsés d’ici comme d’ailleurs ; flanqués à même le bitume ; réfugiés dans les délaissés, déprises et autres innommables zones ; logés dans l’insalubrité, le surpeuplement ou la solitude, tout au bord de la rue. Simultanément – conséquence et cause à la fois –, nos métropoles se dépeuplent de ce qui fait d’une ville une ville : des formes et pratiques de l’accueil et de la solidarité, des espaces et des gestes qui font l’hospitalité » – Sébastien Thiery, politologue –

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Collectif parisien de soutien aux exilé.e.s© Laurent Grossmann
Source: Page Facebook du Collectif parisien de soutien aux exilé.e.s


C’est aujourd’hui la journée mondiale des réfugiés. A cette occasion Lumières de la ville a questionné Sébastien Thiery, le directeur du Pôle d’exploration des ressources urbaines (PEROU), sur trois formes d’habitats construits par et pour la migrance et le transit : La Jungle de Calais, le camp humanitaire de Grande Synthe et les campements parisiens.

Propos recueillis par Jasmine Léonardon

Ldlv : Parlez-nous de vos actions avec le PEROU, en particulier sur les villes informelles

S.T : Le PEROU est un groupe de recherche qui œuvre sur des situations de vie caractérisées par la violence et l’hostilité, que collectivement, nous entretenons.
Qu’il s’agisse d’individus isolés comme les SDF, de populations dites « Roms » vivant en bidonville ou de migrants fuyant l’inhabitable, le PEROU travaille sur les formes d’urbanité que ceux qui n’ont pas droit au chapitre urbain inventent malgré tout, au mépris de l’hostilité qui prévaut.

En prêtant attention aux lieux de vie qui s’inventent à l’ombre de la ville légale, en documentant les constructions qui s’y déploient, les rêves qui s’y affirment, les interactions avec la ville qui s’y jouent, nous cartographions des formes d’habitat non repérées comme telles. En prenant soin de celles-ci, en travaillant à leur accompagnement, à leur amplification, nous suivons l’hypothèse que construire vaut mieux que détruire pour répondre aux questions que ces situations de crise nous posent.
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Charlotte Cauwer, architecte, le 31 mai 2016.© Charlotte Cauwer, architecte, le 31 mai 2016
Par le dessin, Charlotte documente ce qui s’invente à Calais. Ici: Un équipement créatif, un restaurant-cinéma
Source: Réinventer Calais

En partant de l’existant, nous affirmons la nécessité de considérer l’inscription dans le territoire des personnes en question, contredisant les récits de la catastrophe permettant de les considérer « hors-sol », sans ressources et sans attaches, autorisant alors toutes les procédures d’éloignement, de déplacement, de placement.

Nous refusons l’idée commune qu’il s’agisse là de corps en trop, à prendre en charge. Nous nous efforçons de faire entendre que vivent là des habitants en plus, dont les interactions avec la ville qualifient, nourrissent et embellissent potentiellement celle-ci. Nos actions visent ainsi à faire apparaître ces richesses invisibles, à donner la mesure de la fécondité des relations sociales, politiques, commerciales, architecturales, qui se multiplient, en contre-feu des procédures de déni qui prévalent. Le PEROU cherche à renverser les représentations, à réformer la langue.

Car notre langue est aujourd’hui d’une pauvreté infinie, inapte à rendre compte de l’épaisseur de l’expérience, de la singularité de ce qui a lieu.

Que veut encore dire « informel », quelles formes habitées de la Jungle ne le seraient pas assez pour demeurer officiellement « sans forme » ? Que veut encore dire « pérenne », argument servant à disqualifier non ce qui ne dure pas mais ce qu’on ne veut voir durer, quand le Forum des Halles à Paris ne dure pas 30 ans, et quand l’architecte nous livre du bâti avec une garantie seulement décennale ? Que veut dire encore « nomade », quand on accepte de penser que les sédentaires que nous prétendons être changent d’innombrables fois de lieu de vie durant leur existence ? Trimbaler ces éléments de langage c’est nous assurer de ne rien comprendre à ce qui a lieu à Calais aujourd’hui, c’est demeurer empêtrés dans nos impasses, et ne répéter que des solutions abstraites dont la violence résulte d’abord du fait qu’elles méprisent l’expérience des hommes dont elles sont censées régler les problèmes. Notre langue aujourd’hui écrase la Jungle, avant même que les bulldozers ne passent sur les constructions qui la composent.

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DSC07263Le Calais Mag papier dans la Jungle, sur la table d’un bottier
Photo : Charlotte Cauwer

Ldlv : Vous avez lancé l’appel à idées Réinventer Calais avec la parution d’un faux journal municipal. Quel objectif ces deux initiatives visent-elles ?

L’autre journal municipal de la Ville de Calais, réalisé en collaboration avec le designer Malte Martin et distribué en avril à 12 000 exemplaires dans les rues de la ville, rend compte de ce qui s’invente, s’affirme, se construit dans et autour de la Jungle.

A la lisière entre réalité et fiction, il prête aux acteurs publics une autre voix, à leur action une autre perspective, constructive et hospitalière enfin. Il s’ouvre ainsi par « L’édito que la maire de Calais n’a pas écrit », qui pose implicitement la question du caractère vraisemblable d’une autre politique, et qui démontre en négatif combien est invraisemblable la politique aujourd’hui conduite : violente certes, mais aussi outrageusement dispendieuse, et n’offrant aucune autre perspective que la reconduction du bidonville un peu plus loin.

Néanmoins, nous essayant à tenir un discours qui n’est pas tenu, nous éprouvons en même temps la difficulté d’occuper cette place d’acteur public confronté à la complexité de la situation calaisienne : il ne s’agit pas de donner des leçons, encore moins d’insulter ou d’invectiver, mais d’essayer de frayer le chemin à une pensée de l’action qui puisse s’entendre aux oreilles de tous les acteurs concernés, des Calaisiens y compris.
L’appel à idées Réinventer Calais, énoncé dans les pages de cet autre « Calais Mag », prolonge cette volte-face fictionnelle des acteurs publics : sur la base d’un autre regard sur ce qui a lieu, il porte une autre vision de ce qui pourrait avoir lieu demain. Il raconte que Calais pourrait devenir le lieu d’un chantier manifeste, d’envergure internationale, donnant à la ville le rang de capitale européenne de l’hospitalité. Il est à l’endroit précis où se déroule l’action du PEROU qui, ici comme ailleurs, cherche à déclencher des processus de construction, et se place donc juste après la violence, et juste avant le projet, comme agent-rotule d’une bascule qui nous paraît non seulement nécessaire, mais possible.

Les exemples précèdent notre démonstration : dans la Jungle, l’Ecole du chemin des dunes construite par Zimako Jones, réfugié nigérian, est devenue si puissante que le rectorat a mobilisé deux enseignants afin d’y dispenser les cours.

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Silva-Gori-Michael-01-1255x918L’école du chemin des dunes
© Michael Silva Gori, photographe
Source: Réinventer Calais

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Silva-Gori-Michael-02-1255x918L’école du chemin des dunes
© Michael Silva Gori, photographe
Source: Réinventer Calais

Rendre aussi puissants les théâtres, les lieux de culte, les commerces, les lieux de rencontre, qui se sont construits en un an à peine c’est viser ce même processus de renversement des évidences, et des politiques publiques avec. En somme, ce sont les réfugiés eux-mêmes qui sont les chercheurs que nous nous efforçons d’être, qui construisent les conditions d’un autre avenir, et formulent les utopies de demain que nous nous efforçons de faire advenir.

Nous sommes d’abord là pour consigner ce travail inouï, pour nous en inspirer, et pour apporter nos moyens de représentation et d’action pour en prolonger la perspective, pour éviter que barrage soit dressé sur le chemin de ces inventions.

Car c’est ce qui aujourd’hui a lieu : on détruit, expulse, mobilise des forces de l’ordre et hérisse le territoire de barbelés et, pour détourner le regard de cette faillite de la pensée, on programme la création d’un parc d’attraction à 275 millions d’euros, nommé qui plus est « Heroïc Land ». Ce projet, soutenu par le Fonds national de développement et aménagement du territoire, est présenté comme une « mesure compensatoire » pour la ville de Calais eu égard à la crise migratoire qu’elle connaît. Pour 30% de cette somme délirante, nous pourrions mettre en œuvre 9 grands projets d’accueil, ce qui serait une autre manière de répondre à cette crise là…

Ldlv : Vos actions se rapprochent-elles de celles de Médecins sans Frontières, de Actes et Cités et des étudiants de l’école d’architecture de Belleville qui œuvrent à la construction d’un camp humanitaire à Grande Synthe ?

C’est un chemin bien différent que nous entreprenons. D’abord, nous refusons de céder à l’urgence, et aux grands gestes relevant de la gestion de crise : prendre soin de ce qui s’invente, s’affirme, se construit, c’est accueillir ces situations en considérant ce qu’elles peuvent apporter à la collectivité, et non « prendre en charge » les personnes comme un fardeau auquel il faudrait consentir pour des raisons morales. Ensuite, cet encampement, tout humanitaire soit-il, se construit contre la raison urbaine, et déclasse hors-la-ville les personnes que l’on dit accueillir, alors qu’il faudrait cultiver l’urbanité que leur rencontre avec le territoire a fait se développer, les liens créés avec la ville de Calais ou de Grande-Synthe, avec les associations, avec les riverains, tous ces éléments sensibles qui font précisément l’humanité d’une situation.

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Le camp humanitaire de grande Synthe se compose de baraquements, en lisière de voie ferrée
Source: france3-regions.francetvinfo.fr

Laissant la situation s’embourber à Grande-Synthe, et déplaçant enfin, juste avant explosion, les personnes sur un terrain en lisière de la ville, entre voix ferrée et autoroute, témoigne du peu de soin porté à l’humanité précisément. Enfin, l’architecte se précipite là en faisant valoir ses solutions parfaitement techniques, comme si le problème était de cet ordre là. Nous savons faire des modules de toutes sortes depuis des décennies, des niches en plus pour des corps en trop, des boîtes à migrants de toutes les couleurs ! L’architecte-designer de camps ou de modules, tout écologiques ou conviviaux soient-ils, nous détourne avec ses images et ses gestes frappés d’incontestabilité morale de la question centrale : celle de la ville qu’il nous faut construire ensemble, habitants provisoires que nous sommes tous, migrants comme prétendument non migrants.

Qu’ils soient faits de toile, de containers, ou de modules en bois flanqués en ligne ou en rond, ces camps ne relèvent pas d’une politique de la ville, mais d’une gestion de crise qui produit des formes d’hétérotopies sans avenir, des enclaves de territoire et de pensée qui ne nous font pas avancer d’un pouce sur la question qui reste la nôtre : comment vivre ensemble ?

 

Ldlv : Si j’ai bien compris, vous dénoncez la délocalisation et prônez l’accompagnement de la construction des camps à leur emplacement d’origine, en y apportant des structures en dur, des sanitaires, des « équipements » etc… Mais un campement est un lieu de transit. Comment penser une ville où l’on ne reste pas ? Et si au lieu de penser l’escale nous pensions l’enracinement ?

Il n’y a aucune fatalité au passage comme à l’enracinement. Il n’y a que des femmes, des hommes, des enfants dont le destin est frappé d’incertitude et qu’il nous faut savoir accueillir comme s’ils étaient nos parents ou nos voisins, ce qu’ils sont de facto. Le destin se reconfigure éventuellement à l’aune de la qualité de l’accueil, et la nécessité de passer à tout prix peut s’altérer si on est reçu autrement que par la matraque. La possibilité de passer plus facilement peut aussi s’envisager si, ici-même, l’on en vient à vivre mieux, à développer une économie, à accéder à ses droits, à tisser des liens d’entre-aide et d’amitié. Dans la Jungle, une économie se déploie, des relations humaines puissantes se tissent, des écoles s’inventent, des métissages viennent à éclore. Détruire tout ceci c’est anéantir les ressources constituées aujourd’hui pour vivre autrement demain.

Chassons la boue, non les hommes !

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© Jean Larive, photographe, le 12 juin 2016, la Jungle de Calais
Source: Réinventer Calais
 Investissons 150 000 euros par jour dans des services publics dans la Jungle, non pour mobiliser 16 unités de forces mobiles dans la ville ! Embellissons les écoles, ouvrons des théâtres, prenons soin de ce qui s’invente à l’interface entre la ville et le bidonville ! Ainsi, une tout autre vision de la situation nous apparaîtra, ainsi nombre d’autres issues à la crise se dessineront. Parions sur la liberté, plutôt que sur la répression, concédons que nos solutions abstraites et normées n’en sont pas, et expérimentons ! Sans doute, une nouvelle urbanité, une nouvelle économie, une nouvelle école, de nouvelles pièces de théâtres en émergeront. Et un nouvel avenir, ici ou ailleurs, pour les personnes concernées. Ce n’est pas un hasard si le paysagiste Gilles Clément est président du PEROU. Son art du « jardin en mouvement » repose sur l’accompagnement de la nature et du temps ainsi que sur un savant « laisser faire » plutôt que sur une féroce « lutte contre » (les espèces invasives ou indésirables). « Faire le plus possible avec, le moins possible contre » pour donner au jardin des allures de friche fertile, c’est l’idée que nous nous faisons de la ville.
Ldlv : Paris accueille également des camps, dans lesquels le renouvellement est plus rapide et qui sont inlassablement démantelés. Quelles préconisations formuleriez-vous ?

A Paris, avec les migrants, se sont tissées mille relations, plus ténues, moins observables, plus récentes aussi. Les élans de solidarité des riverains et des commerçants pour approvisionner les migrants en vêtements, en tentes et en repas chauds s’additionnent à l’investissement des associations de soutien. Des relations d’amitié se sont nouées, le sentiment d’attachement est manifeste. Comme ailleurs pourtant, ce qui s’est si fragilement construit à Stalingrad puis à Eole a été balayé d’un coup d’engin, mobilisé là, bien entendu, pour des « raisons humanitaires ».

Comment ne pas tenir compte de tout ce qui s’est construit autour des lycées Jean-Jaurès et Jean Quarré, comment ne pas considérer le pouvoir d’action et d’invention de ceux qui accompagnent au quotidien les migrants, comment ne pas constater que les parisiens construisent aussi Paris en accueillant des réfugiés ? Ce sont ces gestes, ces actes, ces constructions matérielles et immatérielles qui font les fondement de la ville à venir. Au mépris de cela, c’est la mise en camp qui est programmée, comme si de ville il n’en était pas question en ces situations dites « intolérables ».

C’est que à Paris, comme à Grande-Synthe ou à Calais, il apparait intolérable que la ville prolifère, s’invente, s’improvise, et en vienne à s’avérer plus puissante que la ville planifiée, normée, réglée.

Ainsi déploie-t-on des efforts extravagants pour contenir (par le conteneur), neutraliser (par le camp), contrôler et infantiliser (par la prise en charge spécialisée). A Paris, plutôt que faire des camps, nous devrions mobiliser les milliers de logements vacants voisinant ceux des riverains solidaires, au cœur donc de l’écosystème qui s’est développé ces derniers mois, et transformer et relier ces espaces pour les faire apparaître telle une constellation vive, tel un haut-lieu diffus dans la ville. Plutôt que de « libérer » les espaces publics de Stalingrad ou de Jaurès, nous devrions cultiver ce que ces extraordinaires mouvements de solidarité ont enfanté, et donner forme à de nouveaux équipements collectifs permettant de garder vives les relations déjà tissées : théâtres éphémères, antennes des associations, lieux d’information, de ressource, d’orientation, espaces d’exposition et de récit de ce qui a eu lieu, de ce qui a fait lieu.

L’enjeu reste toujours pour le PEROU de savoir reconnaître ce qui au milieu de la crise n’est pas la crise, pour lui faire de la place, et cultiver ainsi d’autres espaces communs, d’autres villes que ce qui nous en tient lieu aujourd’hui, à savoir de l’espace de contrôle et de gestion des corps, finalement toujours en trop.

En savoir plus sur http://www.lumieresdelaville.net/2016/06/20/ces-chercheurs-qui-developpent-lhypothese-que-les-refugies-augmentent-notre-realite-urbaine/#zIORW7IdqGBt5X9r.99

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select-banc« La psychose d’un possible squat des assises par les sans abris est telle qu’élus et aménageurs semblent oublier une chose essentielle : une ville aux espaces publics dénués de haltes est une ville hostile et anxiogène pour tous ses habitants, sans exception. Les espaces publics ne sont pas simplement des espaces de circulation, mais également des espaces où les individus s’arrêtent, attendent, se reposent, errent, contemplent, échangent, se rencontrent. Et des mobiliers urbains coercitifs n’y feront rien tant que les usagers auront l’ingéniosité de contourner les difficultés. » http://www.lebugurbain.fr/le-canape-ce-mobilier-urbain-qui-signore/

« Car quoi qu’on en pense sur le plan esthétique et urbanistique, cet exemple souligne en effet l’immense marge de progression dont dispose la « ville asseyable » pour inventer de nouvelles formes de repos. Nous avions par exemple évoqué, dans un lointain billet, l’usage des pentes et escaliers comme lieux d’assise improvisés. Il en va donc de même pour les arbres, qui deviennent des havres de paix à la fois surprenants et poétiques. Mais les recoins de la ville offrent moult autres potentiels pour installer des lieux d’assise… voire de couchage. On parle en effet d’assise, car c’est la pause la plus commune – et la mieux acceptée – dans nos villes, mais on peut aussi imaginer de nombreuses autres formes de repos. » http://www.demainlaville.com/la-ville-asseyable-une-utopie-a-reconstruire/

La pause urbaine, est bien un besoin fondamental qui, si on veut qu’il ne soit pas monopolisé par des grands publicitaires (tout comme la « mobilité durable » parisienne), doit pouvoir être approprié par ses usagers, dés la démarche de construction. Cessons par ailleurs de faire des mobiliers à usage unique, pensons la multifonctionnalité de l’espace public. Il suffit de pas grand chose pour que ce dernier puisse offrir ses surfaces diverses, ses emmarchements, ses bordures ou autres rebords à nos fesses, de manière souvent bien plus confortable que les dispositifs spécialement dédiés à une assise solitaire (l’inconfort est d’ailleurs souvent dans leur cahier des charges).

Pourquoi ce processus de construction d’assises n’irait pas de pair avec le processus de végétalisation participative qui se multiplie à Paris, notamment dans le 18ème et le 14ème?

http://villecomestible.org/pour-vergers-urbains-toutes-les-occasions-sont-bonnes-pour-installer-des-bancs/

Le livre d’Edward O. Wilson Half-Earth: Our Planet’s Fight for life qui paraîtra début 2016 aux Etats-Unis présente une initiative de « réensauvagement » (rewilding) qui fait écho au travail de Reed Noss et du livre d’Allen Cooperrider, Saving Nature’s Legacy (1994). Il s’appuie sur des documents indiquant que pour « préserver les espèces et les écosystèmes, entre 30 % et 70 % de l’habitat terrestre serait nécessaire ».

Et la ville ?

« L’engagement de Wilson et d’autres en faveur du réensauvagement suppose, mais ne propose pas pour l’instant, une vraie vision pour des villes écologiques, durables et résilientes. Wilson n’a en effet pas précisé ce qu’il allait advenir des gens et des infrastructures présents dans les corridors écologiques, mais non concernés par les activités de maintien et d’enseignement de la biodiversité. Ceci est une question urgente qui mérite une réflexion soutenue et inspirée. Car les êtres humains vivent de plus en plus en milieu urbain. Aujourd’hui, la majorité de la population mondiale habitent dans les villes, et à la fin du XXIe siècle, plus de 90 % des gens évolueront au sein d’une métropole. Si nous voulons répondre aux besoins fondamentaux des hommes, il faut aussi transformer les villes en lieux de vie durables et agréables. Réaliser cet ambitieux programme tout en sauvegardant la biodiversité planétaire est un défi de taille que nous pourrons mener à bien par la volonté de mettre en avant une approche éthique.

https://theconversation.com/reensauvager-la-moitie-de-la-terre-la-dimension-ethique-dun-projet-spectaculaire-46826

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation UK.

Crédit photo : La ville durable reste à inventer. Rory Hyde/flick, CC BY-SA

UCCFL’année 2016 sera sans doute celle du retour des communs urbains. Alors que la société continue d’opérer un repli sur soit, à sombrer dans une dérive sécuritaire (en levant des murs, des clôtures, en installant des dispositifs de surveillance…), à ségréger, ou à privatiser ses espaces ou services communs (ou publics), des initiatives de plus en plus nombreuses commencent à émerger pour contre carrer cette tendance. Ces initiatives sont multiples, elles flirtent souvent avec l’économie capitalistique, avec certains acteurs de l’économie collaborative ou du « partage » (uber, blablacar,…), ou d’autres acteurs impliqués dans la dynamique smart city. D’autres initiatives sont motivées par la reprise en main des enjeux énergétiques (développement des coopératives de production notamment, économies d’énergie), la questions des déchets (stratégies zéro déchets), des transports (dans une optique zéro carbone), ou la souveraineté alimentaire (développement de l’agriculture urbaine, des circuits courts). Ils ont en commun de s’appuyer généralement sur une dynamique collective et bottom up, en marge des champs traditionnels de l’action publique pour requestionner le système actuel….

L’espace urbain n’est pas en reste et on passe de plus en plus de la notion de support physique destiné à des usages souvent prédéterminés, préconçus, pour évoluer vers la notion de lieu co-construit, voir même autogéré dans quelques cas encore rares. C’est à dire des espaces ouverts, créés par et pour la communauté, avec ses propres règles de gouvernance (collégiale, voir holacratique). On parle alors de Communs Urbains, où la lutte contre les enclosures rime parfois avec le droit à la ville d’Henri Lefèvre et une réappropriation collective, non ségrégative des espaces publics et des espaces délaissés.

Ces communs urbains se concrétisent par la mise en œuvre de stratégies multiples de réappropriation, ou d’activation d’espaces, souvent délaissés, pour laisser libre cours à des usages collectifs, souples, résilients avec une large part d’expérimentation pour transformer en profondeur la ville, dans ses moindres interstices et la rendre plus résiliente et viable.

Ces dispositifs nécessiteront la mise en place lieux ressources, prenant la forme de Tiers Lieux, englobant à la fois des espaces tel que les coworking, Living Labs, FabLabs, foodlab, Jardins Collectifs etc. C’est à dire des lieux ouverts, supports de mutualisation, d’échange, d’expérimentation, de co-production. Ils interrogent les dimensions multiples de la société : le social, l’économie, l’environnement, la culture, la technologie, etc. Ces Tiers Lieux doivent permettre le « prototypage » d’un nouveau type d’urbanisme, plus collaboratif et viseront à tester, ou préfigurer des usages pérénisables, à la manière d’un micro-urbanisme tactique.

C’est en quelque sorte l’esprit des Laboratoires citoyens (Laboratorios ciudadanos), qui se sont développés à Madrid sur de nombreux espaces vacants. . Dominico Di Sena (CivicWise) : les Laboratorios ciudadanos sont en réalité des lieux de forte inclusion sociale. Ils ne sont ni des lieux institutionnels, ni des espaces de contre-culture, altermondialistes, figés dans des concepts « puristes » et par conséquent excluants. Ils ont progressivement abandonné leur caractère underground, pour permettre une participation citoyenne la plus large possible (entretien, mars 2015 par Raphael Besson). https://www.urbanews.fr/2016/01/11/50396-laboratoires-citoyens-madrilenes-fabrique-communs-urbains/

Living-roof - pano

C’est aussi dans cette dynamique que se situe le projet Urban Common Factory du collectif Babylone (lab-au.org), qui prendra place, de manière éphémère sur le site des Cathédrales du Rail. Cette fabrique temporaire, qui prendra la suite du Living Roof (living-roof.paris) permettra entre autre le lancement de Tiers Lieux générateurs de Communs Urbains, centrés sur l’agriculture urbaine et la résilience, pérennes ou itinérants destinés à (ré)activer des territoires délaissés. Cette fabrique prendra la forme d’une résidence, d’un workshop et d’un festival d’agriculture urbaine, rassemblant différents acteurs pluridisciplinaires (amateurs ou experts), permettant le prototypage de ce tiers lieu. La démarche de co-construction de ce tiers lieu sera démonstratif des idées qu’il compte porter : une construction progressive, collective et expérimentale. Cette fabrique mettra à profit des espaces test pour les usages pérennes qui y prendront place (cas du Cube, qui devra préfigurer certains usages d’une médiathèque), qui évolueront de manière permanente, en fonction des liens qui seront créés avec le contexte local.

Ce Tiers Lieu sera fortement axé sur la question de l’agriculture urbaine, qui par la multiplicité des enjeux abordés et son rapport transversal à la ville constitue une des thématiques fortes des Communs Urbains. Il constituera un laboratoire pour développer les dispositifs qui rendront la ville comestible et résiliente, en renforçant le métabolisme urbain. Il contribuera à faire émerger une agriculture du troisième type, une agriculture urbaine hybride, située entre l’agriculture bio-intensive et le jardinage associatif urbain,génératrice de Communs [agri]Urbains.

Lubie de bobo, phénomène de mode, gadget pour verdir les perspectives d’architectes ou véritable enjeu d’autosuffisance alimentaire des villes? Depuis la France, l’idée semble plutôt saugrenue quoique pittoresque: quelques hurluberlus se présentent en bleu de travail,  attaché-case dans la main droite, râteau dans la main gauche…Urbanisme et aménagement du territoire | France

Il faut désormais s’y faire, l’agriculture urbaine germe partout. Colloques et conférences sur le sujet se multiplient et attestent d’une volonté de relayer voire d’institutionnaliser une pratique en développement. Associations, collectifs, fermes urbaines et autres bureaux d’études spécialisés – souvent aux noms fleuris – orchestrent cette effervescence : Toits vivants, Topager, Le sens de l’Humus, Sous les fraises, V’île fertile, Vergers urbains ou encore Veni Verdi. J’en passe et des meilleurs.

Rien qu’en ce moment, en plein Etats généraux de l’économie circulaire, de nombreuses manifestations se déroulent à travers la France, contribuant à communiquer, développer et mettre à l’agenda politique, médiatique et même culturel l’agriculture urbaine, avec pour point d’orgue (du moins espéré…) la COP 21 en fin d’année. La déferlante est en marche.

Alors, à écouter tout ce beau monde, l’agriculture urbaine pourrait constituer une alternative crédible… vraiment ? Pour nourrir une population urbaine mondiale en explosion constante et rendre la ville plus… savoureuse ?

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Le rabibochage de l’agriculture et de la ville ?

L’agriculture urbaine est loin d’être un phénomène nouveau ou limité géographiquement. Dans les villes françaises, la toponymie des rues reflète souvent un passé maraîcher, viticole, terrassé par le rouleau compresseur de la Révolution Industrielle puis de la société de consommation. L’éclatement de divers scandales alimentaires, la mise à l’agenda politique du développement durable et les premières critiques d’une mondialisation exacerbée ont favorisé le retour en grâce de l’agriculture urbaine dans les années 1990.

Toutefois, concrètement, que recouvre l’agriculture urbaine ? Nos jardins aromatiques que nous entretenons avec amour sur nos balcons étriqués suffisent-ils à faire de nous des agriculteurs urbains ? Rien n’est moins sûr. Une des dimensions fondamentales de l’agriculture urbaine relève de son caractère collectif – pour le moins partagé -, qui la destine à une alimentation de proximité. Qu’elle soit en pleine terre ou hors sol, high tech ou low tech, elle relève d’une gestion raisonnée, économe, respectueuse de l’environnement et des équilibres écologiques. Urbaine, elle émerge du bitume et ravive des espaces laissés vacants, friches stériles et interstices dénigrés. Et ce ne sont pas les toits qui peuvent arrêter son ascension!

Or au-delà de sa qualité paysagère certaine, on voudrait nous vanter ses vertus gustatives… Si comme le veut l’adage, «l’air de la ville rend libre», il est aussi… pollué. Nouveau rebondissement – certainement pas le dernier – les experts avancent que ces productions urbaines non seulement ne seraient pas toxiques ni même de moindre qualité, elles seraient meilleures! Plusieurs arguments unanimement repris étayent cette thèse. Primo, la pollution a tendance à stagner près du sol (on parle d’un effet de seuil à partir du 2e étage). Secundo, cette production de proximité se développe sans pression de productivité ou de rendement (du moins a priori) s’offrant le luxe d’une culture biologique, voire d’une permaculture (1), hyper locale, recyclant les déchets organiques des citadins, économe en énergie et à haute valeur urbaine ajoutée.

Alors, un changement de paradigme ? Dans un contexte de crise agricole profonde, cet appel sonnerait comme un retour à l’essence-même de la tradition urbaine : la ville, foyer d’innovation et d’expérimentation. Sommes-nous prêts pour une nouvelle révolution agricole?

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L’émergence d’un modèle d’agriculture urbaine « à la française »

Ce «modèle  français» émergent fait la part belle à une agriculture urbaine éco-responsable, autogérée, à taille humaine, relevant plus du jardinage que du maraîchage. La production et la distribution sont destinées à une consommation hyper locale.

A l’international, l’agriculture urbaine se professionnalise et s’industrialise, succombant aux sirènes de la productivité, du rendement et du retour sur investissement. Les Etats-Unis et le Canada sont les leaders, pionniers du secteur en misant dessus dès les années 1990 et ce, dans la lignée de la guerilla gardening qui bourgeonna à partir des années 1970 à New-York. Là encore, c’est la diversité qui prime. Si nous avons tous en tête des images «urbano-bucoliques» de toits cultivés dans le quartier emblématique de Brooklyn avec les buildings et skyscrapers en toile de fond, les ingénieurs agronomes et autres commerciaux se sont emparés du marché. La recherche de productivité, de rentabilité et de commercialisation guide désormais ces agriculteurs urbains d’un nouveau genre, entrepreneurial. Pour des expérimentations hors sol high-tech en tous genres.

Les fermes urbaines sur le modèle de serres commerciales positionnées sur les toits d’entrepôts semblent prometteuses, comme celle de Lufa au Canada, qui se développe en hydroponie, c’est-à-dire hors sol, dans une solution riche en nutriments et minéraux. D’autres expérimentations se révèlent plus… étonnantes. Le cas de l’Urban Farmers en Suisse, pionnier dans l’agriculture aquaponique est à ce titre édifiant.

Aqua.. quoi ?! Derrière ce terme barbare se cache une savante combinaison alliant aquaculture et hydroponique : en bref, il s’agit de la culture de plantes dans une eau peuplée de poisson qui l’enrichissent naturellement en nutriments (je ne vous fais pas de dessin). De là à s’en faire un tartare…

Un autre exemple emblématique, plus extrême encore, est celui de la ferme verticale « The Vertical Farm » signée Dickson Despommier, urbaniste et écologiste, professeur à l’Université de Colombia, développée dès 1999. Ce modèle rentable de tours d’agriculture verticale pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres s’enracine jusqu’à Singapour. De l’utopie visionnaire à la science fiction, la limite semble bien ténue…

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La marche vers l’institutionnalisation : la clé des champs ?

De nombreux enjeux restent encore à lever en France pour développer significativement l’agriculture urbaine. Car elle souffre encore d’une faible opérationnalité malgré les encouragements législatifs successifs depuis les années 2000 : la loi SRU puis par le Grenelle de l’environnement créent des outils fonciers afin d’encourager sa planification dans les documents d’urbanisme locaux. Pour autant, une grande variété de zonages s’offre aux collectivités, pour une sélection loin d’être anodine qui constitue l’enjeu majeur de son développement : chaque zonage privilégie une certaine fonction de l’agriculture urbaine et conditionne fortement sa pérennisation. C’est une ré-interrogation globale des logiques foncières qu’il s’agit d’impulser.

Un flou demeure enfin quant à la vocation et aux modalités de développement et d’exploitation des espaces d’agriculture urbaine: question du statut des jardins, fermes et exploitation et avec eux celui des agriculteurs urbains ; celle de la gestion des loyers et baux ; celle des montages opérationnels. Surtout que l’agriculture urbaine ne va pas sans raviver le leitmotiv de la concurrence pour l’espace et les potentiels conflits d’usages (2). Mais à trop règlementer l’agriculture urbaine, ne risque-t-on pas d’en limiter son incroyable inventivité et propagation ?

Alors l’agriculture urbaine peut-elle sauver la ville ? Elle a certainement sa motte à porter à l’édifice. Car l’intérêt de l’agriculture urbaine va bien au-delà des questions alimentaires, économiques et commerciales. Elle réactive le lien social, invite à la spontanéité, réinvente une urbanité, contribue à un changement des mentalités et des habitudes alimentaires, révèle et valorise des espaces délaissés à moindre coût, limite l’effet d’îlot de chaleur, tout en présentant un indéniable intérêt paysager et esthétique. Plutôt pas mal. Attendons la COP 21 pour véritablement parler d’un avènement durable de l’agriculture urbaine.

Héloïse Balhade

(1)La permaculture repose sur le principe de biomimétisme, ou imitation de l’intelligence naturelle du vivant.
(2) L’ensemble de ces questions est développé dans l’ouvrage très complet publié par NATUREPARIF : L’agriculture urbaine. Vers une réconciliation ville-nature, sous la direction d’Antoine LAGNEAU, Marc BARRA et Gilles LECUIR. Editions le passager clandestin. Juin 2015.

27 juin 2015
Le projet de reconversion de l’incinérateur des Carrières en jardins suspendus, proposé par l’entreprise la Cathédrale verte, est une excellente nouvelle. La planification est l’aménagement de la fameuse rampe d’accès avec, entre autres, 15potagers en bac.

« Illustration: Cathédrale verte Le projet de reconversion de l’incinérateur des Carrières en jardins suspendus, proposé par l’entreprise la Cathédrale verte, est une excellente nouvelle. La planification est l’aménagement de la fameuse rampe d’accès avec, entre autres, 15potagers en bac

Le projet de reconversion de l’incinérateur des Carrières en jardins suspendus, proposé par l’entreprise la Cathédrale verte, est une excellente nouvelle. Il est grand temps de redonner vie à cet espace massivement bétonné, élément visuel marquant du paysage montréalais avec ses cheminées. Lors de l’événement Je vois Mtl, le projet s’est intégré à celui d’un corridor vert en direction du site Outremont de l’Université de Montréal.

 L’incinérateur Friche industrielle désaffectée depuis 22 ans, l’ancien incinérateur de déchets est situé dans l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie sur la rue des Carrières à Montréal. Impressionnant bâtiment, il se distingue par ses deux immenses cheminées de 75 m de haut et par son imposante rampe d’accès extérieure. Par sa localisation au coeur de la ville, sa reconversion vers des technologies propres et sa végétalisation sont intelligentes et intéressantes. Qui sait… ? Le site pourrait même devenir un attrait touristique inusité !

 La cathédrale verte, en plus d’être un projet, est une société par actions. Cette dernière souhaite — car elle n’a pas encore de projet concret à son actif — reconvertir des usines en technologies propres, réaménager écologiquement des sites industriels et créer de nouvelles signatures dans le paysage. Elle a été fondée par deux passionnés des technologies vertes et de l’écologie urbaine : Nicolas Vézeau, formé à l’École nationale d’administration en France et gestionnaire de portefeuille, et Jean-Baptiste Reulet, spécialiste de la vidéo 3D. Mis au défi par leurs conjointes lors d’une sortie sur le mont Royal d’aller au bout de leur idée et de réaliser un projet concret, ils ont pris trois à quatre ans avant de tout ficeler. En somme, depuis 2011, le projet de reconversion de l’incinérateur a été présenté dans différents événements, où il a suscité beaucoup d’intérêt et remporté des prix. Toutefois, c’est lors de sa présentation à Je vois Mtl, l’automne dernier, qu’il a pris un nouvel élan en s’inscrivant dans une vision plus large de corridor vert et en s’associant au Carrefour Verdir de Concertation Montréal (anciennement la CRE), à la Société de verdissement du Montréal métropolitain (Soverdi) et en créant des partenariats avec la Soder de Rosemont et Vrac environnement (Groupe d’action et de recherche en développement durable).
Toujours à Je vois Mtl, les acteurs du projet se sont donné comme mission de réaliser, pour 2017, un espace de biodiversité en plein coeur de la ville en connectant, grâce à la voie ferrée, l’incinérateur des Carrières au campus d’Outremont. Ils souhaitent mobiliser tous les acteurs du milieu autour du corridor pour rendre les quartiers plus verts, plus sains et plus actifs. Les objectifs qu’ils cherchent à atteindre sont les suivants : augmenter la biodiversité, favoriser la connectivité écologique, améliorer le cadre de vie, puis offrir un milieu agréable et sécuritaire pour faciliter la mobilité active et l’activité physique. Deux mots sur la biodiversité, selon Pierre Bélec, responsable du corridor à la Soverdi, « la biodiversité est sûrement déjà intéressante à l’intérieur de l’emprise [du Canadien Pacifique], c’est plutôt auprès des propriétaires, le long de voies ferrées, qu’il y aura un travail à faire ».

 Quant au verdissement de l’incinérateur, la planification est l’aménagement de la fameuse rampe d’accès avec 15 potagers en bac, l’installation de 20 écosystèmes en pots et la construction de deux pergolas végétalisées. Le tout serait irrigué par un système d’arrosage qui fonctionne avec la gravité. Au sol seraient plantées des grimpantes pour habiller les piliers et le flanc de la rampe d’accès et pour les cheminées aussi, je présume, puis des saules seraient utilisés pour la décontamination des sols. En plus de devenir une zone verte singulière, cette métamorphose donnerait accès grâce à la rampe à l’un des points accessibles les plus hauts à l’est du mont Royal. On pourrait y observer la croix du mont Royal, la Place Ville-Marie et le Stade olympique. De plus, les deux gigantesques cheminées verdies le jour et illuminées la nuit deviendraient certainement des repères à Montréal.

 Économie circulaire Le projet inclut la reconversion de l’incinérateur en centre de traitement de déchets nouvelle génération. En bref, à partir de ces derniers seraient produits sur place des bioplastiques pour la fabrication à l’aide d’imprimantes 3D d’objets pour utilisation locale, tels que des prothèses. La reconversion a été établie selon les principes de l’économie circulaire, qui veulent que le déchet d’une industrie soit recyclé en matière première pour une autre industrie ou la même.

 Nicolas Vézeau, lors de notre rencontre, affirmait que lui et son acolyte sont prêts à verdir et irriguer l’incinérateur, mais que, malgré le soutien de François Croteau, maire de Rosemont–La Petite-Patrie, de Guillaume Lavoie, conseiller de ville de la circonscription Marie-Victorin dans l’arrondissement, de Réal Ménard, maire de l’arrondissement Mercier—Hochelaga-Maisonneuve et responsable du Développement durable, de l’Environnement, des Grands Parcs et des Espaces verts à la Ville de Montréal, d’Alexandre Boulerice du NPD dans Rosemont et même du maire Denis Coderre, la demande pour un bail emphytéotique de 35 ans du bâtiment, qui appartient à la Ville, est prise dans les dédales de l’administration. Assurément que la situation demande de la conciliation, car entre autres, le terrain est utilisé par l’écocentre ; mais pour un projet aussi intéressant, il y a sûrement place pour une entente. À quand l’issue ? »

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